Les frites ne chantent pas tous les ans la même chanson

Si un bon vin provient souvent de bons raisins, il en est de même pour la frite et ses pommes de terre. Il n’est pas encore question de cépage ou de grand cru, mais, malgré tout, le fameux bâtonnet doré nécessite que l’on prenne grand soin de lui, de la terre au cornet. À ce jeu-là, certains monuments tuberculeux ont la peau dure.
la Bintje reste la star
Interrogé sur le sujet, Didier Mossay, gérant de friteries et président de la commission wallonne des frituristes, le répète : la Bintje reste la star. Et cela n’est pas une question d’attachement mélancolique ; elle fait figure de première de classe, totalisant les trois grands critères d’une bonne pomme de terre à frites. Didier Mossay, qui «&nbspaime s’entourer de collaborateurs compétents&nbsp», transmet l’expertise formulée par son transformateur de pommes de terre attitré : un taux de sucre pas trop élevé afin que les frites ne brunissent pas, un taux de matière sèche pas trop faible pour que les frites n’absorbent pas la graisse et enfin un taux de matière sèche pas trop élevé pour que les frites ne soient pas trop dures.

Du champ au cornet

La Bintje, issue du croisement de Munsterschen et de Franschen Pays-Bas, en 1905, résiste très bien au noircissement lors des cuissons à haute température. Et si le raisin aime le soleil, la Bintje est une vraie belge et aime les situations modérées : un peu de soleil mais pas trop, un peu d’humidité mais pas trop. Difficile alors pour l’agriculteur, qui n’est pas encore maître des aléas agrométéorologiques, de travailler avec cette partisane de la solution du milieu.

Les entreprises d’épluchage, principaux collaborateurs des frituristes, ont suivi le mouvement des agriculteurs, délaissant cette fantasque Bintje, et se sont tournés vers d’autres variétés, présentant plus de résistance aux agressions dans les champs, offrant plus de rendement au champ et en usine, ou se conservant plus longtemps. Si l’on retrouve d’autres variétés chez nos transformateurs de pommes de terre (la Fontane est ainsi la plus représentée), les frituristes et leurs clients n’y retrouvent pas les qualités gustatives de la célèbre Bintje.

Une profession de passion, exaltante et exigeante

La double cuisson à la belge ne représente pas le seul apanage de l’artisanat de la frite
Forts du travail réalisé en amont par les agriculteurs et transformateurs de pommes de terre, il reste aux frituristes de mobiliser leur savoir-faire. Car le « secret » de la double cuisson à la belge ne représente pas le seul apanage de l’artisanat de la frite. Savoir choisir son emplacement, gérer ses stocks, entretenir la relation presque familiale qui lie le fritkot à ses paroissiens, entendre la frite « chanter »… La frite, il faut la travailler avec délicatesse pour ne pas la brusquer, et il faut l’accompagner avec attention afin d’entendre ce fameux chant synonyme d’un bâtonnet qui a nagé assez longtemps dans son bain. Et les frites ne chantent pas toutes de la même manière ! Il y a des bonnes et des mauvaises années pour les tubercules, les frituristes doivent ainsi chaque année comprendre le nouveau millésime et adapter leurs méthodes afin que leurs produits ressortent croustillants et moelleux chaque année.

Autant de caractéristiques propres au milieu auxquelles les futurs marchands de belgitude doivent se former, du geste de base au coup d’œil le plus précis, de la gestion à la préparation.

Si le secteur est assez stable, comptant chaque année entre 4500 et 5000 établissements (pour 581 communes belges), le métier, lui, a changé avec son époque ! Didier Mossay, qui totalise cette année 43 ans d’expériences de friture, – et se retrouve détenteur de ce fait du titre de Chevalier de l’Ordre National du Cornet d’or -, se souvient encore de l’époque où ses parents, eux-mêmes acteurs de la culture fritkot depuis 1959, utilisaient la râpeuse manuelle pendant près d’un mois avant d’envisager sortir leur premier cornet. De la qualité des graisses aux nouveaux appareils à friture, de la spécialisation des entreprises de transformation aux meilleures conditions de stockage, de la prévention des maladies à une connaissance approfondie du tubercule, c’est toute la filière qui s’est modernisée.

Culture frite et friet cultuur

Des frites, des frites, des frites. Si on en parle si souvent, c’est que le batônnet doré occupe une place centrale dans le génome belge, dont le brin d’ADN est complété par nos artisans brasseurs et chocolatiers. Bernard Lefèvre, président de UNAFRI-NAVEFRI (Union Nationale des Frituristes (Unafri) / Nationale Vereniging van Frituristen), organe d’aide au développement économique de la filière et de promotion de ce symbole national, le dit dans ces termes : « La Belgique est un grand fritkot et les fritkots sont tous des petites Belgique. »
La Belgique est un grand fritkot et les fritkots sont tous des petites Belgique
Malgré une genèse qui cristallise des débats (French fries ou Belgian frites ?), il n’y a qu’au sein de nos frontières que la frite est consommée comme plat principal, et la Belgique est la première nation en ce qui concerne le nombre de baraques à frites par habitant. Ce qui n’intéresse pas que les experts du métier. D’autres sphères d’activités se sont arrêtées sur le sujet, exaltant à leur manière cette fierté culturelle. Des peintres comme Gillis Houben et sa Pluie de Frites ou Nicole van Goethem son Cornet National, mais aussi des cinéastes, des hommes politiques (Herman de Croo, parrain de ce patrimoine immatériel national ou encore le Prince Laurent, Grand Officier de l’Ordre National du Cornet d’Or), et bien d’autres.
Il semble que l’on n’ait pas fini de se rassasier et de se réconforter autour d’un cornet de frites, y retournant à mains nues, à la manière de Victor Hugo et Baudelaire, ce dernier considérant que les piquer d’une fourchette représentait une hérésie.

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