La peste de la pomme de terre

Si la pomme de terre est connue, et reconnue, chez nous depuis des générations, son némésis, le mildiou, n’en est pas moins célèbre. Mais qui est-il ? D’où vient-il ? Prenons la température de ce coriace indésirable.

1567. La première arrivée dans le port d’Anvers d’une cargaison de tubercules du soleil.

1845. L’arrivée, moins désirée, de la maladie aux taches brunes sur notre sol belge, dans une cargaison de pommes de terre latines.

Près de 300 ans de gloire pour la pomme de terre européenne, qui prend part à une explosion démographique dans certains pays du continent, avant d’ironiquement participer à la funeste famine irlandaise (1845-1852), bien contre sa volonté.

La « peste de la pomme de terre », des présentations houleuses

Dès les premières années de son acclimatation occidentale, le mildiou, de son nom latin Phytophthora infestans, a témoigné d’une grande vélocité de propagation et provoqué des dégâts considérables, facteurs qui le caractérisent encore de nos jours.

En plein essor industriel, la pomme de terre représentait souvent la ration quotidienne alimentaire principale de bien des travailleurs. La « peste de la pomme de terre », dont la venue concourait à des épisodes climatologiques et politiques compliqués, a tôt fait de plonger la population ouvrière et rurale de l’époque dans une insécurité alimentaire létale.

Mais les acteurs agricoles ne sont pas restés les bras ballants. D’essais en erreurs, ils se sont attelés à la recherche de la description génétique et moléculaire du phytopathogène, permettant ainsi de progresser dans la lutte pour son éradication.

Mais alors, pourquoi en parle-t-on encore ?

Quand le mildiou est là, il est très difficile de le contrôler
Le mildiou, l’un des principaux ravageurs de cultures de solanacées, se multiplie très vite et lorsqu’un certain taux d’infection est franchi, la culture est bien souvent perdue. Interrogé à ce sujet, Benjamin Couvreur, ingénieur de projet au service expérimentations et avertissements du centre agronomique du Crepa-Carah (l’Asbl des services agricoles de la Province du Hainaut) chapeauté par M. Olivier Mahieu est catégorique :

« A partir des spores de la génération précédente, si les conditions sont réunies pour une infection, des taches nécrotiques apparaissent. Et quand le mildiou est là, il est très difficile de le contrôler. En deux à trois semaines, la culture est totalement détruite. »

Phytophthora infestans prospère entre 8 et 30 degrés, avec, condition sine qua non, une humidité relative de 90 %. Plus le niveau de mercure augmente, plus le champignon se reproduit, jusqu’à un optimum de 25°C. Dans ces conditions, en moins de 8 heures une tache nécrotique peut survenir.

Une tradition de recherche Made in Belgium dans les campagnes wallonnes

Sur les pas de leurs prédécesseurs belges – dont Anne-Marie Libert (Botaniste renommée, 1782-1865) pour ne citer qu’elle – six personnes, dont Benjamin Couvreur, continuent de mener la lutte contre le phytoravageur au sein du Carah, épaulées par les activités de recherche menées au CRA-W de Gembloux sous la houlette de Vincent César. La recherche a évolué, les produits phytopharmaceutiques résistent désormais mieux au lessivage, de nouvelles variétés de pommes de terre plus robustes notamment au mildiou sont sélectionnées chez les obtenteurs et apparaissent dans nos campagnes. La filière apprend pas à pas à mieux anticiper l’arrivée de cette maladie aux taches brunes. Et l’une des pistes principales étudiées reste le travail en amont, les méthodes prophylactiques, en collaboration avec les agriculteurs. En effet, les foyers primaires sont souvent dissimulés au sein des tas d’écarts de triages et d’éventuelles repousses en champs, qui, s’ils présentent des signes d’infection, sont les événements déclencheurs des avertissements aux agriculteurs.

Un modèle mildiou

Car si le mildiou répond à des paramètres aussi précis, cela permet aussi de modéliser son évolution, et donc, de prévenir les attaques du feuillage en agissant au bon moment. Les outils d’aides à la décision – aujourd’hui bien souvent connectés – sont maintenant un levier incontournable dans la lutte préventive. Mais la partie n’est pas aisée, l’évolution des souches de Phytophthora infestans, les aléas des paramètres climatiques, le prix d’un traitement mal positionné dans le temps, sont autant de facteurs poussant les chercheurs à toujours faire évoluer leur modélisation afin de parvenir à la fenêtre de traitement la plus précise possible. Le modèle, également mis à l’épreuve de champs d’essais, s’adapte à l’évolution du pathogène.

Le célèbre champignon n’a pas fini de faire parler de lui, mais le territoire continue de s’organiser, menant la lutte sur tous les fronts, des laboratoires aux confins des parcellaires agricoles wallons.

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